Gouvernance équilibrée Femmes/Hommes : ­­« Cette Loi a été un combat »

Analyse

Invitée par l’EM Strasbourg dans le cadre de son cycle de conférences Sur le vif, Marie-Jo Zimmermann, députée de Moselle et coauteure de la Loi Copé-Zimmermann sur l’égalité d’accès des Femmes aux conseils d’administration des grandes entreprises revient sur la genèse et l’esprit de ce texte qui entre pleinement en vigueur cette année. Interview.

 

 

En 2017, votre loi entre en vigueur. Les entreprises qui y sont soumises sont tenues de remplir l’objectif de 40% de femmes dans leurs Conseils d’administration. Quel objectif vise cette loi ?

Je souhaitais que la question de la représentation des femmes dans les instances de gouvernance passe de l’indifférence à la prise de conscience. Objectif atteint. Nous avions rédigé le texte de façon à ce qu’il ne soit pas trop brutal pour les entreprises, avec un premier seuil de 20% de femmes dans les Conseils d’administration et de surveillance à atteindre entre 2011 et 2014. Les entreprises y sont parvenues assez facilement. Mais pour atteindre les 40%, il faut prendre des décisions plus tranchées, comme expliquer à un administrateur en fin de mandat qu’il va être remplacé par une femme. Là, on touche au système en profondeur. Désormais nous sommes en 2017 et les entreprises concernées qui ne respectent pas la loi risquent des sanctions.

 

La législation vous est-elle apparue comme le seul moyen pour corriger une ‘injustice’ ?

Cette Loi a été un combat mené de 2004 à 2011. Premier enjeu, il a fallu la faire passer dans mon groupe parlementaire. Ensuite, il fallu que je démontre la faisabilité du projet en identifiant un ‘vivier’ de femmes prêtes à prendre de tels postes… L’exemple de la Norvège, qui a légiféré sur ce sujet avant la France, m’a permis d’avancer. Le ministre norvégien à l’origine de cette loi me tenait les propos suivants : « Le Conseil d’administration est le cœur battant d’une entreprise. On ne peut pas admettre qu’il n’y ait pas de mixité au sein de la gouvernance. » En fixant ce seuil de 40%, nous permettons non seulement de renforcer cette mixité mais aussi, par effet domino, de permettre aux femmes de monter dans les instances de direction et de faire sauter le plafond de verre.

 

Quelle réponse donner aux dirigeants qui invoquent des difficultés à trouver des femmes pour atteindre ce taux ?

D’abord, ce taux de 40% donne une souplesse. Un 50-50 aurait été trop rigide. Ensuite, c’est un argument que j’ai entendu pendant des décennies en politique. Mais pose-t-on la question de la compétence des hommes ? Jamais ! Un homme est coopté au sein d’un Conseil d’administration. Pourquoi pas une femme ? Enfin, en voulant faire rentrer des femmes dans les Conseils d’administration, s’est posée la question de la formation des administrateurs. On ne se la posait tout simplement pas jusque là, pour les hommes.

 

Est-ce une forme de sexisme ?

On peut se poser la question. Ce ministre Norvégien expliquait alors qu’« un homme sait qu’il sera administrateur, une femme devra être formée et se battre pour le devenir ». Je voulais tordre le cou à cet état de fait. La question de la compétence tombe d’elle-même : regardez les résultats dans les grandes écoles. Très souvent les femmes en sortent parmi les meilleurs. C’est intolérable qu’on ne les retrouve pas, 15 ans plus tard dans les CA. On dit qu’il manque 138 femmes dans les CA des entreprises du CAC40 et SBF120… si on ne trouve pas en France 138 femmes à très haut potentiel, quel constat doit-on en tirer, nous, 5e puissance mondiale ?

 

Beaucoup de femmes ont fait le choix de la création d’entreprise… Quels enseignements tirer de cette dynamique qui vient du terrain ?

Très souvent, quand les femmes n’arrivent pas émerger dans les entreprises, elles créent. L’entrepreneuriat au féminin est quelque chose d’extraordinaire dans ce qu’il révèle du potentiel des compétences. Aujourd’hui les réseaux de femmes explosent et montrent que les femmes sont bien là. Alors, quand je vois ce chiffre de 138, je souris… Elles sont là les 138 femmes ! Simplement il faut faire l’effort de leur ouvrir la porte. Il faut que les chasseurs de têtes soient un petit peu moins misogynes.

 

L'EM Strasbourg au coeur du débat

Si la question de la gouvernance des entreprises est le sujet de prédilection de Patrice Charlier, maître de conférences et responsable de la chaire sur le management et la transmission d’entreprises de l’EM Strasbourg, celui plus spécifique de la représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans les conseils d’administration revient à Sébastien Point. Professeur des universités et enseignant-chercheur à l’EM Strasbourg, il travaille sur cette question depuis de nombreuses années. Il a été nommé au Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), pour être corédacteur du rapport intermédiaire d’évaluation de l’application des lois du 27 janvier 2011 (dite loi Copé-Zimmermann) et du 12 mars 2012 (dite loi Sauvadet). De ses travaux de recherche et de son rôle de rédacteur, il tire une vision éclairée du chemin parcouru, des freins et des avantages de la présence des femmes dans les conseils d’administration. « La question de la parité a permis aux entreprises de repenser et de mieux structurer leur gouvernance, de mettre l’accent sur la formation des administrateurs et administratrices », explique Sébastien Point. Cette loi, même si elle ne s’adresse qu’à une frange limitée d’entreprises, a le mérite de contribuer à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes.

Données-clés 
Plus de 900 entreprises sous le coup de la loi, dont 520 cotées en bourse
1265 postes d’administrateurs à pourvoir par des femmes, pour arriver à une parité totale
Un taux de présence des femmes moyen dans les Conseils d’administration de 34% en 2015

 

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